Le 1er juin 2016 se produisait un accident dramatique, près du terrain privé de Coëx, en Vendée (85).
Un Van’s RV4, avec deux personnes à bord, s’écrasait à quelques centaines de mètres du terrain, en phase d’approche.
Le pilote est décédé, le passager grièvement blessé.
La cause racine de l’accident a été l’arrêt moteur en vol. Les conséquences fatales sont pour partie dues à la difficulté de se poser sur un terrain non préparé, avec une panne moteur à 600 ft sol.
Le rapport du BEA se trouve ici.
Le Van’s RV4
Le Van’s RV4 est un avion biplace tandem sous régime CNSK (kit), non-certifié, ce que l’on appelle communément un « Annexe 2 », avec certificat de navigabilité restreint. Ce type d’avion ne suit pas la réglementation européeene EASA, mais la réglementation de son pays d’immatriculation. Dans le cas présent, étant immatriculé aux Pays-Bas, il suivait la réglementation relative à la maintenance et aux modifications des Pays-Bas.
L’appareil considéré était motorisé par un LYCOMING O-320-E2D à carburateur d’une puissance de 150 ch (et non pas 160 ch comme indiqué erronément dans le rapport du BEA) avec une hélice Sensenich métallique à pas fixe . C’est un appareil tout métal très répandu. La place du pilote est à l’avant.
Le PH-EIL était entretenu par son propriétaire et ponctuellement par un mécanicien aéro. Le premier ne détenait aucune licence de mécanicien, le deuxième une part 66.
Quelques semaines avant l’accident, le propriétaire a lui-même entrepris des travaux sur le système électrique de l’avion (alternateur, condensateur magnéto gauche, régulateur, relais,…).
Quelques jours avant l’accident, le propriétaire avait mandaté le mécanicien part 66 pour installer deux magnétos électroniques P-Mag en lieu et place des magnétos électromécaniques classiques. Il semblerait que l’avion soit arrivé à l’atelier de La Rochelle avec un circuit de charge batterie déjà défaillant.
Les magnétos électroniques P-Mag
Les magnétos électroniques P-Mag sont des magnétos électroniques non-certifiées fiables et très répandues dans le monde des avions non-certifiés. Elles ont pour avantage de disposer d’un alternateur intégré permettant, une fois un certain régime moteur atteint (typiquement 800 tr/min), d’assurer l’autonomie des magnétos et de se passer d’une redondance électrique de leur alimentation. Elles sont supposées être installées indépendamment au niveau électrique, à savoir un interrupteur et un disjoncteur distinct pour chacune des magnétos, ce qui n’était pas le cas du PH-EIL où les deux magnétos avaient été branchées à une alimentation unique.
Il est important de noter qu’il existe deux modes de coupures de ces magnétos :
- l’une, classique, en mettant les P-Leads à la masse. Par cette méthode, la déconnexion de la masse autorise un redémarrage immédiat de la magnéto,
- l’autre, liée aux spécificités des magnétos électroniques, en coupant l’alimentation électrique de la magnéto. Dès lors, deux possibilités :
- soit le régime moteur est supérieur aux 800 tr/min d’auto-alimentation, auquel cas les magnétos continueront à fonctionner,
- soit le régime moteur est inférieur aux 800 tr/min, et la magnéto se coupera faute d’alimentation.
Si, après la coupure par le biais de l’interrupteur, l’alimentation est rétablie, les magnétos ne redémarrent pas immédiatement, elles nécessitent une réinitialisation, celle-ci pouvant durer quelques secondes.
On voit donc qu’en vol, une perte d’alimentation électrique, en-deça du régime d’auto-alimentation pourra devenir critique dans la mesure où, même si l’alimentation électrique est rétablie, par le biais de l’alimentation de bord ou du dispositif d’auto-alimentation de la magnéto, il lui faudra de longues secondes avant d’être à nouveau opérationnelle.
Du point de vue installation, ces magnétos P-Mag sont plutôt simples à installer, mais certains pièges subsistent et il est indispensable d’y prêter une attention toute particulière :
- la documentation est en anglais et n’est pas très intuitive, même si globalement, elle est satisfaisante,
- le point relatif à l’utilisation du signal des P-Mag pour la mesure des RPM est noté, et il est indiqué que c’est un point délicat, sans support de la société à cet égard. Il est nécessaire ou non d’incorporer une diode selon que souhaite exploiter le signal en 5 ou 12 volts,
- il est très vivement conseillé d’installer un système de soufflage des deux magnétos, afin de maintenir leur température dans la plage 80-85°C,
- il est aussi possible de jouer sur l’avance à l’allumage par le biais d’un jumper. Autant savoir ce que l’on fait avant de positionner ou non ce jumper.
Du côté exploitation, il est indispensable d’intégrer des procédures supplémentaires aux checks de prévol de manière à vérifier jusqu’à quel moment les magnétos restent auto-alimentées en cas de défaillance d’alimentation de bord.
La cause de l’arrêt moteur
Suite aux investigations du BEA, il apparaît que le moteur et les magnétos sont apparus opérationnels lors de leur essai sur banc, mais avec un circuit électrique qui n’était plus celui de l’avion, ce dernier ayant été endommagé lors de l’accident. Il est dès lors difficile de déterminer si c’est une décharge batterie ou si c’est un coupure de l’alimentation électrique par déconnexion (perte du positif ou de la masse, ou mauvaise connexion entraînant une tension inférieure aux 8 volts requis) qui est à l’origine de la coupure magnéto.
Les circuits d’air et de carburant étaient opérationnels, ce qui laisse à penser que la cause de l’arrêt moteur provient des deux dispositifs d’allumage simultanément.
Il n’est pas indiqué dans le rapport du BEA si des dispositifs de soufflage des magnétos avaient été installés. Cet un élément particulièrement important, l’accident ayant eu lieu en juin.
Les deux magnétos ayant été installées sur la même alimentation, une défaillance de celle-ci (coupure du positif ou de la masse, ou connexions de mauvaise qualité) rendra inopérante les deux magnétos simultanément sauf si celles-ci tournent suffisamment rapidement.
Dans le cas des magnétos du PH-EIL, il a été montré sur banc que celles-ci ne se coupaient pas en-deça d’environ 800 tr/min, mais plutôt en-deça de 1050/1100 tr/min, ce qui est nettement plus haut que la normale, et surtout, une configuration nettement plus rapidement atteignable en phase d’approche, gaz réduits.
D’autre part, la batterie ne se rechargeant plus, l’utilisation de la radio, du transpondeur, des strobes, de l’instrumentation électroniques, ainsi que les démarrages des vols précédents ont eu raison de l’autonomie de la batterie.
Élément contribuant, suite au montage des magnétos, l’information des tours/minute n’était plus disponible. Ce sujet était connu du pilote, mais souhaitant récupérer son avion avant le week-end, le traitement de la panne a été reporté à une date ultérieure. Point critique, car sans information de RPM, le pilote ne pouvait pas se rendre compte de la zone à partir de laquelle les magnétos pouvaient ne plus être alimentées.
Les points à en retirer
Ce cas est intéressant, car mêlant matériel certifié/non certifié et intervenants certifiés/non-certifiés.
Globalement, la non-certification ne pose pas de problème, par contre plusieurs erreurs ont été faites :
- le pilote a accepté de reprendre l’avion en sortie d’atelier avec, d’une part le circuit de charge défaillant, et d’autre part, l’information de régime moteur manquante. Ces deux points semblaient non-importants à ses yeux, mais dans le cas de l’utilisation de P-Mag, se sont montrés critiques. A noter que dans le cas d’une exploitation d’aéronef certifié, le pilote n’aurait pas été autorisé à décoller,
- le pilote a livré l’appareil à l’atelier avec un circuit de charge défaillant. eu égard aux travaux qu’il avait lui-même réalisés sur son avion préalablement, il est probable qu’il n’ait pas eu toutes les compétences techniques pour mener ce type de travaux de manière satisfaisante,
- le mécanicien part 66 a procédé au montage de matériel qu’il ne connaissait pas. Face aux difficultés rencontrées, normales lors de toute « première fois », il ne lui a pas été loisible de traiter le sujet du fait de la butée du week-end. Il est probable aussi que la documentation, en anglais, ne suffise pas. Dans le cas des P-Mag, beaucoup d’information se trouve sur le site constructeur et il est nécessaire d’y passer du temps.
- l’alimentation unique des deux magnétos, en violation de ce qui est indiqué par le constructeur, n’était pas une idée à suivre, même si il est peu probable que ça ait contribué à l’arrêt des magnétos.
En conclusion
A AeroAcademy, nous réévaluons systématiquement l’intérêt et le risque de pouvoir travailler dans le domaine non-certifié. Nous pensons que la responsabilisation des utilisateurs, pourvu qu’ils soient « éclairés », garanti un niveau de sécurité au moins égal à celui du domaine certifié.
Dans le cas présent, il y a eu un défaut de prise en compte des dangers induits par les fonctions inopérantes lors de l’utilisation d’un matériel particulier (les P-Mag).
Le pilote a livré/accepté un appareil dont la fonction de recharge batterie était inopérante.
Le mécanicien a procédé à ce qu’il pensait être une installation sans souci, mais s’est retrouvé avec des points non-traités au moment de devoir livrer l’avion (contrainte temporelle). De plus, en simplifiant l’installation (circuit unique), il a induit un risque de défaillance.
Cette expérience est particulièrement pernicieuse. Aucun des signaux ne semblait franchement alarmant. Par contre, la conjonction de ceux-ci ont emmené l’équipage dans la nasse, sans possibilité d’échappatoire.
En résumé, le certifié/non-certifié n’a que peu d’importance. Seul le sérieux de la mise en œuvre importe.
Il n’est pas indispensable d’être certifié pour voler en toute sécurité, par contre, il est impératif d’être conscient de ce que l’on fait quand on décide de faire des impasses sur des problèmes techniques.
Pour ceux que cela intéresse, le module M.2.2. – La Maintenance des Accessoires Moteur traite des particularités de l’installation des P-Mag.
Bichonnez votre avion et bons vols !